Ne t’en prends qu’à toi-même
La violence dans la pratique des arts martiaux pourrait se comparer au feu dans l’âtre d’une maison, indispensable pour le chauffage et la cuisine, il menace constamment d’embraser le bâtiment et d’anéantir ceux qui s’y trouvent. Pratiquer les arts martiaux sans une part de violence, c’est ôter le ferment qui leur donne vie : le danger. Mais à l’instar du feu, cette violence doit être circonscrite – des protocoles, des rituels, doivent délimiter clairement son usage au champs constructif de l’étude. Petit à petit, elle peut être dissociée des émotions qui l’engendrent et qu’elle engendre.
Arrivé à un certain niveau technique, pour que la violence ne soit pas banalisée, elle doit s’intensifier. Les attaques doivent présenter des risques de blessure sérieuse voir de mort, l’attaquant aussi bien que le défenseur prennent à ce moment conscience de sa nature dévastatrice et des conséquences irrévocables qui l’accompagnent.
L’usage des armes est un pas supplémentaire dans cette direction puisqu’il augmente considérablement les risques liés à l’exercice ; la moindre distraction, la moindre maladresse pouvant avoir des conséquences fatales.
Côtoyer ainsi le danger amène presque inévitablement un jour ou l’autre à passer très près – parfois même trop près – du drame. La simple question « pourquoi ? » prend alors une ampleur sismique. Pourquoi avoir presque perdu un oeil ? Pourquoi avoir fracassé la mâchoire de son ami ? Pourquoi avoir perdu l’usage de sa main pendant plusieurs mois ? La question est d’autant plus cruelle qu’il semble évident qu’elle aurait dû se poser plus tôt.
Cette remise en question n’est cependant pas réservée aux domaines où le risque est évident. Des activités tout à fait banales peuvent aussi avoir des conséquences exorbitantes – traverser la chaussée pour acheter le journal et se retrouver six mois en unité des polytraumatisés, grimper sur une chaise pour changer une ampoule et passer le restant de ses jours sur une chaise roulante – le jeu en valait-il la chandelle ? Pourquoi n’y avoir pas pensé plus tôt ? Pourquoi n’avoir pas agi autrement ?
Les pratiques éminemment risquées ont, elles, la vertu d’éveiller la conscience sur l’omniprésence du danger et sur l’unique véritable assurance qui vaille – un esprit en éveil – car finalement on ne pourra jamais s’en prendre qu’à soi-même.