La Transmission des Arts de Combat Chinois hors de leur contexte traditionnel
L’enseignement des arts de combat traditionnels chinois fût dispensé jusqu’à la première moitié du 20ème siècle au sein d’une société chinoise profondément confucianiste, et dans le cas du Sao-Lim Hood Khar Paï, exclusivement à des moines bouddhistes.
Il est donc utile d’examiner dans quelle mesure la transmission de ces systèmes peut être altérée dès lors qu’elle s’exerce hors de son contexte socioculturel.
Nombre de concepts ou d’attitudes ne sont pas explicités, ni même évoqués, dans l’enseignement traditionnel de ces arts de combat car ils sont simplement évidents pour des Chinois élevés dans la tradition confucéenne. Pourtant ces concepts sont souvent indispensables à l’acquisition et à la compréhension de ces systèmes.
Les cinq vertus confucéennes
Selon Confucius l’homme doit baser sa morale sur cinq piliers : la BONTÉ, la DROITURE, la BIENSÉANCE, la SAGESSE et la LOYAUTÉ.
Pour des Occidentaux du 21ème siècle, ces préceptes paraissent souvent rétrogrades ou tout simplement obsolètes. Ils sont pourtant porteurs d’un sens plus profond qu’il n’y paraît de prime abord.
La BONTÉ est certainement la plus fondamentale des vertus puisqu’en orientant l’homme vers son prochain elle lui propose une première alternative à son égocentrisme. C’est une étape décisive dans une quête visant à la réunification de l’homme avec l’univers.
La DROITURE (ou justesse) requière un affûtage constant de l’esprit qui doit rester indépendant des pulsions émotionnelles et avoir une vision lucide de chaque situation afin de garder son cap en dépit des influences extérieures.
La BIENSÉANCE (caractère de ce qui convient) conduit l’individu à prendre humblement conscience de la place qui lui est dévolue au sein de l’humanité et de l’univers.
La SAGESSE vient avec l’apaisement du monde émotionnel – lorsque l’esprit cesse d’être troublé par les passions, les désirs et les émotions, il s’écoule alors avec limpidité dans la juste voie.
Enfin, la LOYAUTÉ est une hygiène personnelle concomitante aux quatre vertus précédentes, elle est à la fois leur substrat et leur émanation.
Comme tous les systèmes philosophiques ou religieux, ces cinq préceptes ont été largement dévoyés au cours de l’histoire, afin de servir des ambitions personnelles et asseoir l’autorité des classes dirigeantes dans des sociétés fortement hiérarchisées. Cependant, pour un individu en quête de réalisation existentielle, cette constellation de principes est un guide précieux pour avancer sur une voie d’humanisme et de spiritualité.
Qu’on les apprécie ou non, ces directives ont régi l’éducation de générations de Chinois et conditionnent encore les rapports entre maître et élève non-seulement dans les écoles d’arts martiaux, mais plus généralement dans tout le système éducatif (de la famille à l’université) des sociétés d’obédience confucianiste.
Le professeur est supposé habité par un sentiment de parfaite bienveillance à l’égard de ses élèves. La droiture lui impose de transmettre son savoir avec rigueur et honnêteté. La bienséance demande qu’il endosse pleinement son rôle d’enseignant et qu’il soit un exemple vivant pour ses élèves. La sagesse l’amène à être ferme mais patient, et la loyauté exige qu’il guide ses élèves vers le meilleur d’eux-mêmes, pour qu’à terme ils le surclassent.
Les élèves doivent pour leur part s’employer à cultiver un sentiment d’entraide et de fraternité les uns envers les autres. Ils doivent s’efforcer de capter le sens profond des préceptes qui leur sont enseignés afin de se conduire avec droiture. La bienséance les rend respectueux des aînés et prévenants à l’égard de leurs cadets. Ils supportent les rigueurs de leur apprentissage sans nourrir de rancœur afin de développer leur sagesse et finalement, se montrent loyaux envers l’arbre généalogique qui les nourrit de sa sève.
Aussi naïve ou idéaliste que puisse paraître cette philosophie, elle a pour vertu de ne pas favoriser le développement d’un ego surdimensionné chez l’individu. Elle l’aide aussi à comprendre que la tradition est un trésor qui lui est confié pour qu’il en jouisse, mais que c’est seulement lorsqu’à son tour il deviendra le vecteur de ce patrimoine qu’il s’acquittera de la dette contractée envers ses aînés.
Dans une telle culture le novice qui rejoint une école d’arts de combat est déjà largement conditionné à supporter la rudesse d’un traitement qui en occident serait vite considéré comme humiliant. L’élève chinois prenant à la lettre les instructions de son enseignant devient son partenaire dans le projet commun de son éducation. Il est capable de s’astreindre docilement à un entraînement dont il ne comprend pas forcément les tenants et aboutissants, et c’est bien là son énorme avantage, car ainsi, au travers de la pratique, il se donne l’opportunité d’une compréhension plus intuitive qu’intellectuelle. Libre de tous préjugés ou références extérieures, il fait confiance à son guide et acquiert naturellement la connaissance ésotérique qui lui est transmise. Il remet l’ouvrage sur le métier aussi longtemps que les résultats ne sont pas satisfaisants. Il remet en cause son travail, mais pas les objectifs qui lui sont assignés.
Bien entendu, tous les Chinois ne sont pas élevés dans une compréhension intime du confucianisme – lorsque celui-ci est inculqué avec brutalité et sans bienveillance, il n’a sans doute pas tous les effets bénéfiques que l’on peut en attendre… Néanmoins il semble que globalement les personnes issues de cultures confucianistes soient dotées d’une plus grande stabilité émotionnelle que la plupart des Occidentaux dont l’ego est bien vite mis à vif.
SAO-LIM HKP
Le Sao-Lim Hood Khar Paï émerge d’un contexte bien spécifique, tributaire à la fois d’une culture chinoise intrinsèquement confucianiste, mais aussi du microcosme particulier qu’étaient les monastères bouddhistes.
Il semble d’après certaines sources historiques que les bonzes aient été relativement mal vus et parfois mal traités par la population chinoise (le fameux moine jésuite Matteo Ricci en fera la rude expérience en croyant approcher plus facilement le peuple chinois sous un déguisement de bonze…), aussi est-il fort possible que certains d’entre eux aient choisi d’assurer leur propre protection en s’entraînant aux arts de combat. Il paraît cependant peu probable que des mystiques ayant renoncé à tous biens matériels et à l’essentiel des plaisirs terrestres pour se consacrer totalement à leur quête spirituelle aient durablement pratiqué les arts de combat uniquement dans une perspective d’auto-défense…
Ch’an (Zen) et arts de combat, ont en commun la recherche de l’unité parfaite avec l’instant présent, la fusion totale de l’individu avec l’univers, donc la destruction (même temporaire) de l’ego.
Le Ch’an des monastères est extrêmement abrupt et recourt à diverses techniques pour tenter de déborder l’ego des moines. Il ne s’agit pas simplement de mettre une chape de plomb sur les émotions (qui déforment la perception du monde), mais bien de les susciter afin de suivre la tige de chacune d’elle jusqu’à sa racine, puis d’évacuer le terreau qui la nourrit. Il est assez vraisemblable que les arts de combat aient trouvé leur place dans certains monastères en tant qu’outils utiles dans cette entreprise.
En étudiant la structure du Sao-Lim HKP on ne peut que constater à quel point l’entraînement physique et mental y sont étroitement liés. La plupart des techniques atteignent rapidement les limites de leur efficacité si elles ne sont travaillées que dans leur dimension physique. Bien plus que la technique elle-même, c’est la façon dont elle est mise en œuvre qui la rend fonctionnelle, or cette façon ne peut être imitée – elle est l’expression profonde et authentique d’un état d’esprit.
Aussi longtemps que le pratiquant reste asservi à ses émotions il est une marionnette aux mains d’un adversaire expérimenté.
Le Sao-Lim HKP est un art indissociable de ses origines. On ne peut s’emparer de ses trésors sans se soumettre à ses exigences, ceux qui y cherchent un divertissement y trouvent l’ennui, ceux qui y cherchent un piédestal à leur vanité y trouvent la frustration. On ne peut ni tricher ni passer en force…
Paradoxalement c’est seulement à mesure que l’esprit s’apaise, que l’ego s’érode et devient moins belliqueux que les véritables aptitudes au combat se développent.
Il est donc non-seulement utile mais nécessaire de s’intéresser aux pratiques du Bouddhisme Ch’an (Zen) telles que la méditation pour retrouver un état d’esprit réceptif à l’enseignement du Sao-Lim HKP.
En somme, il paraît difficile de dissocier totalement l’enseignement des arts de combats chinois traditionnels de leur arrière-plan philosophique.