Les endurcissements sont probablement l’un des aspects des arts de combat orientaux qui suscitent le plus de controverses en occident. Il convient dans ce domaine de discerner les méthodes visant à un développement protecteur du corps, de celles “mortifiantes”, niant simplement la douleur et la blessure. Dans la perspective combative du Sao-Lim Hood Khar Paï les endurcissements des membres sont un atout majeur. Ils accroissent considérablement la résistance du combattant et augmentent l’effet vulnérant de ses techniques d’attaque et de défense. De par la nature répétitive et douloureuse de leur pratique, ils s’inscrivent dans un processus global de domestication des sensations et de maîtrise des émotions. En renforçant son corps et son esprit, le pratiquant minimise ses risques de blessure et son appréhension de la douleur. Le travail des endurcissements dans le Sao-Lim HKP ne consiste pas uniquement à supporter la douleur (entraînement mental) mais également à soigner les tissus endommagés durant l’exercice. En effet, des blessures répétées et non-traitées induiraient immanquablement un affaiblissement des zones concernées (micro fractures, stases diverses liées à l’accumulation de déchets, etc.) Dans ce travail de conditionnement, on distingue deux types de surfaces anatomiques : les affleurements osseux (têtes métacarpiennes, parties inférieures des avant-bras, tibias etc.) et les revêtements musculaires (parties supérieures des avant-bras, cuisses, épaules etc.). Les endurcissements en tant que tels ne s’effectuent que sur les surfaces de la première catégorie (affleurements osseux). En effet, l’os qui subit des impacts répétés et modérés, s’il reçoit les traitements requis, va développer du cal (comme lors d’une fracture) et acquérir au fil du temps une résistance accrue, le transformant progressivement en une arme redoutable. Quant aux surfaces de seconde catégorie (muscles), elles procureront essentiellement l’occasion de travailler l’accoutumance mentale à la douleur. Il ne s’agit donc pas à proprement parler d’endurcissements physiologiques puisque, jusqu’à preuve du contraire, les tissus musculaires endommagés n’ont pas la faculté en se régénérant de produire une matière protectrice comparable au cal osseux. Enfin ce genre de conditionnement est notoirement malsain et contre-productif s’il est appliqué à des zones parcourues par des faisceaux de nerfs moteurs ou par une forte irrigation sanguine et lymphatique.
Les massages en profondeur et l’application d’embrocations spécialement prévues à cet effet (dont la composition, souvent gardée secrète, est transmise et affinée par les Maîtres, de générations en générations) jouent un rôle essentiel dans le drainage et la régénération des tissus soumis à cette pratique.
Techniquement, les endurcissements consistent en des séries de frappes délivrées contre des objets plus ou moins résistants (sacs de gravier ou de billes, pierres, cylindres métalliques etc.) et de formes adaptées aux zones anatomiques traitées. Ces exercices sont entrecoupés de massages d’embrocation sur les zones concernées. L’intensité, la durée et le nombre de séries « frappes/massages » dépendent de chaque individu et de son niveau, ils doivent être déterminés avec l’assistance d’un instructeur expérimenté. Ce conditionnement doit être mené de façon progressive afin d’éviter une congestion des tissus dermiques et épidermiques qui nuirait à l’endurcissement des os en atténuant les impacts.
Les principales surfaces traitées sont les poings, les avant-bras (faces radiales et cubitales), les tranchants des mains (internes et externes), les paumes, les coudes et les tibias.
Le travail des endurcissements est une facette complexe et passionnante du Sao-Lim Hood Khar Paï. Il requière beaucoup patience et de ténacité, mais il procure au pratiquant une connaissance et une confiance profonde dans son corps. Il convient ici d’ajouter une mise en garde : la pratique des endurcissements s’intègre dans le système global d’entraînement du Sao-Lim HKP et il est impossible de déterminer avec certitude quelles seraient les conséquences de ce traitement sorti de son environnement. En effet, la pratique des taos, (avec tout ce qu’elle implique au niveau cardio-vasculaire, circulatoire, articulaire, etc.) la méditation, le travail sur le ch’i, sont autant de pièces qui s’imbriquent et interagissent. Vouloir isoler ou extraire un élément de ce contexte pourrait avoir des effets désastreux à court ou à long terme sur la santé de celui qui s’y hasarderait.
La casse
Les exercices ou démonstrations de casse (briques, planche, blocs de granit etc.) sont assurément des activités enrichissantes pour le pratiquant pour autant qu’il reste lucide quant à leur sens.
La casse de matériaux (quand elle approche les limites de capacité du pratiquant) requière une concentration sans faille qui ne laisse aucune place au doute et à la demi-mesure. Elle permet pendant quelques dixièmes de seconde de focaliser complètement l’esprit sur un seul et unique but. Cette sensation peut servir ultérieurement de référence pour la pratique du Sao-Lim et pour la méditation.
Cet exercice n’est toutefois pas sans danger. D’abord, bien entendu, pour les membres exposés aux impacts : si ceux-ci n’ont pas été dûment préparés, ils risquent de subir des lésions immédiates et visibles (importants hématomes, fractures etc.), mais également des traumatismes plus profonds qui, à terme, peuvent déboucher sur des pathologies graves et chroniques. Maître P’ng, qui après plus de trente ans de casse de granit à mains nues, exercerçait l’acupuncture avec toute la sensibilité et la précision requise, insistait beaucoup sur le soin qu’il est nécessaire d’apporter aux endurcissements. Les casses qu’effectuaient certains pratiquants de longue date de la « Sao-Lim Athletic Association of Penang » capables de briser des blocs de granit de plus de dix centimètres d’épaisseur avec le revers du poing ( !) requièrent un entraînement quotidien, méticuleux et éprouvant qui confine à l’ascèse.
Bien plus dangereux sont l’excès de confiance et la vanité qu’un pratiquant peut retirer de sa capacité à dominer des matériaux inertes. L’entraînement vise en effet à la confrontation avec un adversaire animé. La casse ne diffère finalement pas des autres activités propres aux arts de combat. Chacun, pour peu que sa nature ou sa constitution y soit favorable, peut y trouver un motif d’exaltation de son ego : c’est à la fois le grand péril et l’immense intérêt de ce travail… Certains échoueront, agrippés à une notoriété acquise à bon compte. Pour d’autres, cette expérience sera l’occasion d’identifier un ennemi inattendu – soi-même.